Les chasseurs luttent contre la Bête du Gévaudan

Hypothèses expliquant les échecs des tireurs aux armes à feu

 dans la chasse de la Bête du Gévaudan

Alain Parbeau

Tir avec une arme à silex à l'époque de la Bête du Gévaudan - © PJ Vidal

Prologue


Cet exposé, n’a pas pour but de juger les chasseurs du 18ème siècle. Il apporte, après expériences de tir avec des armes du 18ème siècle, et en tenant compte des chargements de l’époque, un éclairage sur les pratiques de chasse aux armes à feu de la bête.


Il est facile avec nos appareils actuels et la science moderne (chronographe, caméra à grande vitesse, essais balistiques, etc.) de se rendre compte des erreurs de pratiques du passé. Nos ancêtres n’avaient pas en matière de tir, notre raisonnement rationnel, nos techniques scientifiques, ni les moyens financiers pour acheter beaucoup de munitions et s’entrainer efficacement.


Ils usaient de coutumes et d’affirmations plus ou moins empiriques, faute de disposer d’expériences scientifiques développées. Des confusions dues aux nombreuses unités de mesures différentes, mais portant le même nom dans chaque province, étaient monnaie courante.

L’influence de croyances plus ou moins « religieuses », achevait de compliquer les choses.

Quand à la configuration géographique du Gévaudan, nous en percevons bien les difficultés (gorges profondes, dénivelés importants, absence de voies de communication, etc.), sans compter les rigueurs du climat.


Même de nos jours (Par exemple la première « bête des Vosges », chien, loup, ou autre, qui a attaqué le bétail de mars à juin 1976, n’a pas été capturée. Les attaques de bétail ont cessé après le 3 juin sans autre explication), il est très difficile de traquer un animal en terrain de montagne, bien que disposant d’hélicoptères, caméras infrarouges, et autre matériel de repérage...

En contrepartie si les armes à feu de l’époque sont moins précises que de nos jours, leur qualité de réalisation est généralement en France excellente, et sérieusement contrôlée depuis Louis XIV. Les armes à feu sont prévues pour durer 50 ans, et beaucoup resteront en service 100 ans voire plus, comme le fusil de Jean Chastel, fabriqué vraisemblablement vers 1760, à système d’allumage à silex transformé vers 1840 en système d’allumage à percussion.


La qualité est si bonne, que des chasseurs ruraux aux revenus modestes ont utilisé en France, des mousquetons du premier empire, transformés à percussion, comme fusil de chasse jusque dans les années 1960. Certains de mes collègues « tireurs aux armes anciennes », utilisent encore aujourd’hui des armes du 18ème et du 19ème siècle authentiques.

Les chasseurs du 18ème siècle ont fait ce qu’ils pouvaient avec leurs connaissances, leurs moyens, leurs croyances, et leurs réalités de terrain.

Le manque d’entrainement

Les chasseurs du XVIIIème siècle ne bénéficient pas des tarifs avantageux sur les munitions. A titre d’exemple, une société de chasse de nos jours, peut obtenir pour l’achat de 5000 cartouches (calibre 12 plombs de 7) un coût unitaire de 12 centimes d’euros.


Le tir d’entrainement (ball-trap ou cible par exemple) revient donc à 48 euros par chasseur, pour le tir de 400 cartouches (soit 10 séances d’entrainement à 40 cartouches pendant la période de fermeture de la chasse). Ce coût actuel très raisonnable, permet un entraînement efficace et sérieux.


Au XVIIIème siècle, ce n’est pas le cas. La poudre et le plomb sont nettement plus chers, et un coup de feu à la chasse revient en comparaison à 1/2 sou soit environ 3 euros, ou 1200 euros (10 livres) pour le tir de 400 coups contre 48 euros de nos jours. (Le coût d'un chargement de fusil de 1764 prend en compte 5 grammes de poudre de bonne qualité, une balle de plomb de 27 grammes, et une mordache de plomb plus un silex blond du Berry pour 40 coups).


Sans avoir la prétention d'être absolument juste, cette conversion en euros découle d'une comparaison avec le salaire minimum journalier de base de 8 sous en 1764 avec le SMIC journalier de 50 euros environ en 2014. Elle permet de se rendre compte du coût en 1764.


En conséquence, seuls les chasseurs aisés peuvent se permettre de s’entrainer sérieusement sur des cibles de tir. Les autres ne vont « brûler leur poudre » que sur une cible qui peut rapporter (nuisible échangeable contre une prime, ou gibier consommable). Pourtant, les armes à feu du XVIIIème siècle étant moins précises que les armes modernes, il faut un entraînement important pour les maîtriser avec une bonne précision de tir.

En conclusion, seuls les riches chasseurs peuvent devenir bons tireurs après entrainement. (Mais en général, les riches chasseurs sont nobles et préfèrent la chasse à courre, ou l’on achève le gibier à la dague ou à l’épée de chasse).

Pour les autres, seuls ceux qui ont une prédisposition naturelle comme vraisemblablement Jean Chastel, seront efficaces.

Les « dragons » (Régiment de Clermont-Prince)

Le capitaine aide-major Duhamel, commandant le détachement qui chasse la bête, ne peut la tirer, à cause de deux de ses hommes qui se mettent dans sa ligne de mire alors que l’animal est à la portée de son arme.

Lors de leur poursuite à vue de la bête, les dragons à cheval, essayent de la sabrer, c'est-à-dire de la tuer en lui donnant des coups de sabre. Ils n’utilisent pas leurs pistolets ni leurs carabines, qui pourtant auraient été plus indiqués même s’il n’est pas évident de tirer avec précision au galop…… Pourquoi ?


Vraisemblablement ce jour là, à cause de l’honneur, et de l’excitation. En effet, pour un cavalier (dragon, hussard etc.), l’arme « noble » à cette période, c’est le sabre, et l’action héroïque, c’est la charge de l’ennemi. Celui qui charge et tue au sabre se confronte directement au danger, pouvant en être victime, donc n’est pas un lâche.


On trouve encore de nos jours ce comportement de la part de certains veneurs, dans la chasse à courre, à cor et à cris, qui après l’avoir poursuivi à cheval, servent le sanglier (c'est-à-dire achèvent l’animal cerné par les chiens) à la dague.

Ils risquent un coup de défense mortelle, mais ils montrent leurs « bravoure et courage ». Puis l’équipage rend les honneurs au gibier par un air de trompe de chasse.


Malheureusement, dans le cas des dragons, cette pratique va permettre à la bête de se sauver. Pour la sabrer efficacement (atteindre la colonne vertébrale par exemple), il faut être à sa hauteur, et descendre le sabre à 40 cm du sol, si l’on considère l’animal tué par Jean Chastel qui fait environ 55 cm au garrot et qui s’aplatit au galop.

Depuis un cheval lancé à pleine vitesse, ce n’est pas aussi évident que pour sabrer la tête d’un homme à 1mètre 60 du sol.

L’arme de chasse polyvalente: Le fusil






Il s’agit d’une arme d’épaule (que l’on porte en appui contre l’épaule pour tirer) dont l’intérieur du ou des canons est lisse.

C’est l’arme polyvalente (toujours de nos jours) car elle permet d’utiliser aussi bien de la grenaille de plomb (petite billes rondes de 1 à 4 mm de diamètre pour la chasse au petit gibier, appelées également « Dragées », et « Cendrées » pour les plus petites au 18ème siècle), que des chevrotines billes de 5 à 9 mm (appelées postes à loup quand elles leurs sont destinées), ou des balles rondes au calibre de l’arme ou d’un calibre un peu inférieur (appelées lingots en référence au lingot de plomb d’une livre qui sert à déterminer leur poids théorique) pour le gibier plus gros (chevreuil, sanglier, cerf, ours, loup…).


L’utilisation de postes à loup (chevrotines) projectile le plus utilisé au XVIIIème siècle pour la chasse au loup dans un fusil.

Ce sont des billes de plomb de 5 à 9 mm (8 mm à Paris en 1741 selon l’ouvrage de monsieur de Saint Rémy) dont on charge lourdement les fusils à l’époque.


Que veut dire lourdement ? Tout simplement que l’on n’hésitera pas, pour compenser un manque de précision du fusil, en augmentant le diamètre de la gerbe de grains de plomb, à mettre 50 voir 60 grammes de chevrotines, pour avoir plus de chance d’au moins blesser l’animal, là où aujourd’hui on en mettrait 30 grammes au maximum.


Dans le cas d’un animal blessé, on le suit « au sang ». C'est-à-dire que l’on a des chiens spécialement dressés pour renifler l’odeur du sang laissé sur le sol, et retrouver la bête que l’on achève ensuite à bout portant.


Les postes à loup quittent les fusils de l’époque à une vitesse qui varie de 180 à 300 m par seconde , selon le calibre, et le fait courant à l’époque que l’on y a adjoint une balle proche du calibre de l’arme (le « lingot ») ou pas (comme le porte arquebuse du roi, François Antoine).

Cette vitesse de projectile chute rapidement, et la portée pratique efficace (qui tue sur le coup et offre un minimum de précision avec des chevrotines) pour un fusil ne dépasse pas 15 mètres, soit 20 pas environ, compte tenu de la lourdeur de la charge.


Au-delà, la vitesse des projectiles n’est plus assez importante pour perforer profondément un gros animal compte tenu du frottement contre l’air qui ralentit les projectiles, et de l’énergie utilisée pour le renverser au sol. Cela constitue autant de force en moins, utilisée dans la pénétration des chairs.

Effectivement, un fusil de calibre 24 du 18ème siècle, à 50 mètres, pour 285 mètre par seconde, avec 27 grammes de chevrotines de 8 mm, perce une planche de 5 cm en pin (elle éclate à l’arrière).


Mais cette planche est fixée sur un poteau qui ne bouge pas, donc toute l’énergie se trouve concentrée dans la force de pénétration, et il n’y a que 27 grammes de plomb, pas 50 ou 60, et la vitesse est encore de 200 mètres par seconde à 50 mètres.

Ce n’est pas le cas sur un animal mobile, tiré avec une charge plus lourde, donc moins rapide. La bête atteinte par seulement 3 ou 4 postes sur les quinze ou vingt voire plus (35 pour François Antoine) qui constituent la charge (les autres passent à côté) va être renversée au sol, et faiblement blessée.


L’animal saigne, mais si il n’y a pas d’artère importante de touchée, le sang coagule rapidement, surtout s’il fait froid, d’autant que les grains de plombs n’ont pas pénétré profondément sous la peau. (Dans le rapport « Marin », à propos de blessures anciennes cicatrisées sur la bête tuée par J.Chastel, le notaire le dit bien: « On sent 3 grains de plomb sous la peau »). On comprend alors que l’on perde la trace de l’animal assez rapidement d’autant que l’on peut rajouter le brouillard, la pluie, voir la neige dans certains cas.

L’utilisation de plusieurs balles empilées au calibre du fusil (balles mariées)


Il sera courant jusqu’à la fin du 19ème siècle, d’empiler 2 ou 3 balles dans son fusil, en prétextant qu’une sur les deux ou trois a plus de chance de toucher la cible qu’une balle seule.

La conséquence de ce chargement sera une chute de vitesse, (donc de puissance) de 60m par seconde avec 2 balles et de 130 mètres par seconde avec 3 balles et une dispersion plus importante des projectiles (les 3 balles sont réparties dans un cercle de 3 mètres de diamètre à 50 mètres)

En conclusion, seul un tir à 15 mètres maximum aurait un intérêt avec cette pratique. Au-delà, c’est une erreur balistique. (De plus, cette pratique est très dangereuse car une balle lente, ricoche très facilement sur un tronc d’arbre, et peut revenir sur le tireur.)


L’utilisation d’une seule balle au calibre du fusil ou un peu inférieure

Elle est appelée souvent « lingot » en référence à la fraction du lingot d’une livre de plomb de 489,5 grammes, dont elle est issue. Le lingot désigne également par extrapolation une grosse chevrotine mélangée à des petites.

Par exemple, un fusil de calibre 24 veut dire que la balle théorique de calibre 24 pèse 1/24ème de la livre soit 20,39 grammes et correspond à une sphère de plomb de 15,1 mm de diamètre.


Un fusil de calibre 24 (15,1 mm au 18ème siècle, 14,7mm de nos jours à cause de la réforme de 1911) expédie sa balle bien « calepinée », à 360 mètres par seconde pour une charge de poudre de 3,5 grammes (4,5 grammes au 18ème siècle). Elle perce une poutre en pin de 18cm à 50 mètres (L’arrière de la poutre éclate). Si la poutre fait 30 cm, la pénétration n’engendre pas d’éclatement, et n’est que de 8 cm.

C’est la meilleure formule, car la plus puissante. Seulement, pour que la balle rentre facilement dans le canon, elle fait en réalité de 13,1 à 14,5 mm, ce qui laisse un jeu de 0,6 à 2 mm (le vent) entre le canon et le projectile, que l’on comble plus ou moins bien en enveloppant la balle dans un petit chiffon graissé au suif appelé calepin.


Ce jeu, s’il dépasse 0,8 mm, est très préjudiciable à la précision (et à la puissance car une partie des gaz de propulsion brule le calepin et passe entre la balle et le canon). Sous la poussée des gaz de combustion de la poudre, la balle rebondit en avançant sur les parois du canon, et c’est le dernier rebond avant la sortie de celui-ci qui détermine la direction du projectile.


En gros, la précision ne dépasse généralement pas 25 mètres, et à condition de bien caler l’arme sur une branche par exemple. (Il en est de même pour les fusils de guerre, mais comme on se tire dessus « dans le tas » aligné en rangs serrés à 50 mètres, voire moins, la précision est secondaire et, c’est efficace. Ce n’est pas le cas quand il faut viser un animal seul et mobile)


Par contre, avec un vent de 0,8mm la balle bien « calepinée » et suifée est puissante et d’une précision acceptable (on met le projectile dans un cercle de 40 cm de diamètre) à 25 mètres à condition de ne pas bouger. C’est ce qui permet de comprendre que le fusil de Jean Chastel, chargé à balle de calibre, a percé le col, coupé la trachée artère, et brisé l’épaule du canidé qu’il a tué (selon le rapport de maître Marin).


Si l’on considère une taille de 1,55m à 1,60m pour J.Chastel et une taille de 0,55 m au garrot pour l’animal, compte tenu de la pente de la « Sogne d’Auvers » et pour que la balle fasse ces dégâts, elle a pénétré à la base du cou du côté droit de l’animal. Chastel se trouvait entre 16 et 20 mètres et la bête s’est présentée de profil sur sa gauche.

(De nos jours, en stand de tir, grâce à nos connaissances balistiques modernes, nous réduisons le vent à 0,3 mm (X 2) et utilisons une balle forcée à la baguette avec un calepin de 0,4 mm d’épaisseur huilé. Cela autorise une précision honorable permettant de toucher une cible de 0,50m X 0,50m à 50 mètres)

En résumé pour le fusil


Pour quelles raisons le fusil du XVIII ème siècle manque-t-il de précision ?


Par ailleurs, la pression nécessaire au départ du coup sur la queue de détente, atteint voire dépasse couramment les 3 kg, ce qui favorise le « coup de doigt » déviant l’arme de quelques millimètres au moment du tir, ce qui représente vite quelques décimètres à 30 mètres.



Pour quelles raisons manque-t-il de puissance s’il est mal chargé ?


Mais la poudre noire est sensible à l’humidité. Plus elle est sèche, plus sa combustion sera régulière et rapide. Le Gévaudan est un pays ou il est parfois difficile de lutter contre l’humidité.

L’arme idéale pour la chasse au gros gibier : La carabine







On peut dire que c’est une sorte de fusil, mais qui au lieu d’avoir un canon lisse, possède un canon rayé (rainuré) intérieurement (4 à 12 rayures hélicoïdales selon les fabrications) , qui donne un mouvement gyroscopique à la balle, augmentant considérablement sa précision (à 50 mètres, on touche une assiette sans problème), et sa puissance de pénétration. On ne peut donc tirer qu’une balle à la fois dans cette arme. A l’inverse du fusil, elle est équipée d’instruments de visée (hausse et guidon).


(Une carabine de chasse de 1760 de calibre 14mm projette sa balle de 450 à 530 mètres par seconde en fonction de la charge de poudre, et perce une poutre de pin de 24 cm à 50 mètres. La poutre éclate à l’arrière)


La balle sera :

Ronde en plomb et semblable à celle du fusil

  • Soit d’un diamètre légèrement supérieur à celui du canon (dans ce cas, après avoir mis la poudre, on force la balle graissée à rentrer avec un maillet et une baguette dans le canon de l’arme. C’est le chargement dit à « balle forcée »)
  • Soit d’un diamètre très légèrement inférieur à celui du canon, et enveloppée dans un petit morceau de tissu graissé appelé calepin. La prise des rayures se fait grâce au calepin qui les épouse en force, et qui colle à la balle, ainsi qu’à la légère déformation de cette dernière sous la pression des gaz la forçant à tourner.


C’est la carabine du garde chasse « Rinchard » qui a tué le loup de « François Antoine »porte-arquebuse du roi LouisXV, d’une seule balle.
(La charge de la canardière du « porte-arquebuse » du roi, trop lourde et lente, n’a pénétré que sous la peau du loup en le renversant, mais aucun projectile n’était immédiatement mortel. Le loup blessé s’est relevé et l’a chargé).


Alors pourquoi n’y avait-il pas beaucoup de carabines ?

  • La carabine ne peut tirer qu’une balle, bien plus précise que le fusil, mais à condition d’être entrainé, et de rester particulièrement stable au moment du tir. L’entrainement coûte cher.
  • La carabine est plus longue et délicate à charger qu’un fusil. Mais cet inconvénient est surtout évident à cette époque pour un usage militaire. De plus, le fusil militaire est maintenu de grande longueur pour servir avec sa baïonnette, de pic contre la cavalerie.
  • Le fusil à canon lisse permet de tirer aussi bien du petit plomb, pour les oiseaux, ou le petit gibier, que des chevrotines ou des balles. Sa polyvalence le fait généralement préférer à la carabine.
  • Le coût de fabrication de la carabine est plus élevé, à cause des rayures (3 à 12 selon le modèle) et du canon qui est généralement plus épais pour résister à des pressions de gaz plus fortes.
  • La carabine ne convient qu’au gros gibier, car elle serait surpuissante sur du petit dont elle pulvériserait les chairs (canard, lapin, etc.), empêchant de le manger.
  • Les nobles qui auraient les moyens de se payer une carabine, chassent plutôt à courre, avec des chiens, une dague, ou une épée, voire un épieu de chasse.

Performance des armes à feu du 18ème siècle avec un chargement correct (tir à 50 mètres)

Les résultats obtenus ci-dessus sont très bons, et découlent d’un chargement soigné, et d’un « vent » entre le canon et la balle « calepinée » de 0,8mm pour le fusil et 0,3mm pour la carabine (le calepin fait 0,4 mm d’épaisseur, et est graissé au suif comme à l’époque). Quant aux chevrotines, une bourre de liège graissée de 2cm est intercalée entre les projectiles et la poudre.


La plaque de tôle de 3,5mm est fixée sur un poteau, et par ce fait ne recule pas à l’impact. Ainsi toute l’énergie du projectile est disponible pour la perforer. On constate toutefois, que les chevrotines ont moins de puissance que les balles, et n’arrivent pas à percer la tôle.

Epilogue


Les armes à feu du 18ème siècle sont performantes, si elles sont chargées correctement, avec des projectiles adaptés au gibier chassé, et si le tireur est entraîné. Mais, si l’on considère le manque d’entrainement, le mauvais choix de chargement pour le type de gibier que constitue la bête, et la trop grande distance généralement du tir, on comprend que l’animal n’ait souvent été que blessé, et qu’il ait pu se remettre debout et fuir.


Cela n’exclut pas que l’animal touché par les chasseurs comme les frères « Marlet » de la Chaumette, ou monsieur de Védrine ait pu aller mourir dans un coin isolé, et ait été dévorée à son tour par des loups, ou d’autres charognards occasionnels. Dans ce cas il y aurait eu plusieurs bêtes.


Quant à l’animal tiré à 10 pas (environ 8 mètres), et à balle forcée, il n’y a qu’une explication au fait qu’il se soit enfui : A cause d’un dernier mouvement de l’animal (surpris) ou du tireur (coup de doigt par exemple), le projectile a effleuré la bête de biais (par exemple le haut ou le bas du tronc, ou une patte) ce qui l’a fait tomber, mais la balle n’a fait que déchirer la peau sans pénétrer profondément le corps, et est ressortie. La bête s’est redressée et a fui. Sinon à cette distance, une balle de calibre dans le corps ou la tête l’aurait tuée à coup sûr.


En ce qui concerne l’hypothèse d’une cuirasse pour protéger la bête, sans être absolument impossible, cela me semble très peu vraisemblable pour les raisons suivantes :


  • Une peau de sanglier tannée seule (3mm d’épaisseur), est facilement traversée à 50 mètres par des balles ou des chevrotines. Il faut la doubler de bœuf tanné (5mm d’épaisseur) pour obtenir un « petit » résultat face aux projectiles. En contrepartie, cette cuirasse dévie facilement une lame, si elle n’est pas effilée et si elle ne frappe pas perpendiculairement. (Il est probable que les lames ne soient pas toujours effilées et tranchantes. En effet, les « enfants bergers », comme tous les enfants, vont essayer leur « baïonnette » et la lancer contre un arbre, ou même la planter dans la terre pour « voir et jouer », ce qui l’émousse). La résistance de la cuirasse aux projectiles est faible.
  • Après essai de tir sur celle-ci (cuirs de « sanglier + bœuf » montés sur un sac de sable de 50 kg lui – même sur une table à roulette, pour figurer la mobilité de la bête), une balle ricoche à 50 mètres si elle touche sous un angle de 2 à 10 degrés maximum. Au dessus (de 15° à 90°), la balle perce la cuirasse sans problème. Quant aux chevrotines de 8 mm, certaines ricochent jusqu’à 45°. De 50° à 90°, elles percent la cuirasse. (Les essais ont été fait à 50 mètres pour des raisons de sécurité, à cause des risques de ricochet. En effet, les ricochets peuvent très bien renvoyer les projectiles en arrière. Il est évident qu’à une distance inférieure, les projectiles sont encore plus puissants.)
  • Le poids : Il atteint 8 kg (7,3 kg de cuir + 0 5 de boucles et sangles), avec 0,95 gramme au cm2 de cuir sec (sanglier + bœuf); (11,55 kg mouillé, si l’animal traverse une rivière), et ceci pour une surface de 0,77mètre carré nécessaire pour couvrir efficacement le tronc de l’animal (70cm de long x 110cm de tour de taille) on atteint ce poids. C’est une charge lourde pour être portée une journée entière par un animal. Les cuirasses existaient sur les chiens de guerre, mais n’étaient portées que pour un assaut, pas toute une journée.


Pour la faire tenir sur un animal qui va courir toute la journée, il faut des sangles et un harnais, qui forcément avec les mouvements de l’animal va à un moment bouger, et laisser voir ses fixations, et peut-être le blesser par le frottement continu et rapide des sangles. Sans compter que le cuir mouillé par une traversée de rivière par exemple, devient dur en séchant, ce qui augmente son pouvoir d’abrasion sur la peau de l’animal.


La carabine actuelle est aujourd’hui unanimement reconnue pour la chasse au grand gibier, et sa puissance est largement supérieure au fusil de chasse. La vitesse des projectiles modernes comme le « 300 winchester magnum » atteint le double des carabines du 18ème siècle soit environ 1000 mètres par seconde, ce qui leurs confère une précision, ainsi qu’une force de pénétration et d’arrêt considérable jusqu’à 150 mètres voire plus.


Les carabines les plus puissantes (460 Watherby magnum, 577 T.rex, 500 ou 600 « Nitro express », etc.) arrêtent net un éléphant (à condition de toucher un organe vital) comme s’il heurtait un mur. De plus, cette arme a tendance grâce à la vitesse de son projectile, à moins provoquer de ricochets (à courte distance) que le fusil de chasse actuel dont les balles plus lentes dépassent rarement 500 mètres par seconde en sortie de canon. En contrepartie, la portée de la carabine dépasse en balle perdue, 3500 mètres contre 2000 mètres environ pour le fusil (tir parabolique).

Remarques importantes de sécurité
(Pour ceux qui seraient tentés de faire des tests)


En ce qui concerne les « portées pratiques » des munitions citées, il s’agit de portée où le projectile est théoriquement efficace, c'est-à-dire a encore une précision acceptable, stoppe immédiatement l’animal et le tue.


Le projectile d’un fusil du 18ème siècle a une portée réelle beaucoup plus grande

Une gerbe de postes à loup a une portée pratique de 15 mètres, mais sous un angle de 45° par rapport au sol, la gerbe porte jusqu’à 5 à 600 mètres (en fonction du diamètre des chevrotines ; plus elles sont grosses, plus elles vont loin). Une balle a une portée pratique efficace de 25 à 30 mètres, mais une portée réelle sous un angle de tir de 45°par rapport au sol qui peut atteindre 1000 mètres.


Quant à la carabine du 18ème siècle

Sa portée pratique atteint pour les meilleurs modèles les 100 mètres, mais sous un angle de 45° par rapport au sol, sa portée réelle dépasse souvent les 2000 mètres.

Donc ne tirons jamais hors d’un stand de tir aménagé spécialement, ou hors d’une chasse encadrée.

Les armes anciennes restent puissantes, et l’être humain fragile.

La poudre noire répandue au sol pour faire une mèche « comme dans les films », est une ineptie. En effet, non comprimée, la poudre noire brûle à une vitesse pouvant atteindre 2,20 mètres par seconde.


Donc il ne faut jamais s’en servir pour faire une mèche de mise à feu; à moins de faire 150 mètres de long, l’explosion serait quasi immédiate.

Les effets spéciaux des films sont obtenus avec des poudres spéciales, par des artificiers spécialistes obligatoirement formés C4T2 en France.

De plus, la majorité des explosifs voient leur vitesse de combustion augmenter avec la température ambiante. Plus il fait chaud, plus la poudre brûle vite. (Il ne faut jamais utiliser une cartouche restée en plein soleil, dans une voiture en été par exemple. Elle peut faire éclater l’arme)

Il ne faut jamais recharger une arme à poudre noire directement avec une poire à poudre, comme on le faisait au 18ème siècle.


En effet, au deuxième chargement, il peut rester une petite braise dans le canon, et la poudre s’enflamme alors instantanément faisant exploser la poire comme une grenade. On verse la dose de la poire dans un petit tube, et c’est lui que l’on vide dans le canon. En cas d’inflammation, il n’y a pas de grande conséquence, si l’on n’a pas la tête au dessus.


On maintient le silex entre les mâchoires du chien avec une petite feuille en plomb, jamais en cuir, comme on le faisait parfois au 18ème siècle, car elle peut brûler en toute petite braise et provoquer l’allumage de la poudre alors que l’on remplit le bassinet.

On n’utilise jamais d’autres poudres que la poudre noire dans une arme ancienne. En effet, les poudres modernes, brûlent plus complètement et dégagent pour un même volume solide, environ 3 fois plus de gaz. Même si l’on réduit la charge au tiers, il y a encore des problèmes de vitesse de montée en pression.


Alain Parbeau
Texte présenté ici avec accord de l'auteur, merci de le respecter.


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