Les chasseurs luttent contre la Bête du Gévaudan

La Bête du Gévaudan, l'animal pluriel

Mémoire de Master - 2016

Laurent Mourlat

La Bête du Gévaudan l'animal pluriel Mémoire de master Laurent Mourat

FRA 4550. Mémoire de Master.
Études européennes et américaines, filière France.
Institut de littérature, civilisation et langues européennes.
Université d’Oslo. Printemps 2016.
Directeur du mémoire : Olivier Darrieulat, maître de conférences en civilisation française.
01.05.2016
Pour citer ce travail : MOURLAT Laurent, La Bête du Gévaudan, l’animal pluriel, 1764-1767,
sous la direction d’Olivier Darrieulat, Université d’Oslo, Blindern, 2016, 185 p.


Extraits

 INTRODUCTION


Les premières attaques
C’est le trente juin 1764 que commence en Gévaudan une série d’événements singuliers. Une jeune fille de 14 ans est retrouvée morte au village des Hubacs, paroisse de Saint-Etienne-de-Lugdarès. Le 8 août, à Masmejean d’Allier, paroisse de Puy-Laurent, une fille de 15 ans est « dévorée ».


Les réactions sont vives et le comte de Moncan, Lieutenant-Général des armées du roi et commandant en second pour la province du Languedoc envoie l’ordre de donner la chasse à Mr Du Hamel, capitaine aide-major des Volontaires de Clermont-Prince. Les quatre compagnies de dragons du régiment de Clermont-Prince se trouvant à Langogne et Pradelles dès l’automne 1763, elle sont mises à disposition.


On ne connaît alors pas encore l’identité de l’agresseur mais on soupçonne fortement Canis lupus. En effet, le Gévaudan est à l’époque une région tout à fait propice à la colonisation par le loup. Alliant la moyenne montagne, les forêts isolées et les pâturages dispersés, ce territoire présente des caractéristiques géographiques et topographiques de choix pour notre prédateur. La population y vit principalement de l’élevage et ne se concentre pas dans les villages.


L‘éparpillement des habitants ainsi que le type d'activité agricole pratiquée dans la région donnent aux loups la possibilité de s’attaquer aux hommes et à des cheptels isolés. Les problèmes liés à la présence de cet animal opportuniste sont d’ailleurs récurrents car celui-ci sévit, et ceci depuis des siècles, dans tout le royaume. En 1641, Henri de Laurens note la disparition d’une brebis ou d’une chèvre « que le loup a mangée ». En août 1844 à Bazaigues, Baraise et Éguzon, communes de l’Indre « on n’a trouvé que la partie des os de la jument et aucun vestige de la pouliche, un boeuf et une vèle sont dévorés, trente chiens disparaissent ».


Située au centre du royaume de France, au sein d’un territoire pauvre et rude déjà durement éprouvé par la peste, la population du Gévaudan va, en cette deuxième partie du XVIIIè siècle, être le témoin d’une hécatombe. De 1764 à 1767, la « Bête du Gévaudan » attaque environ 289 personnes. 108 sont tuées, plus de 49 sont blessées et environ 132 sont indemnes. L’étude des archives consacrées à ces incidents montre que l’animal a fait plus de ravages en Auvergne qu’en Languedoc.


En Lozère, qui est alors la région la plus touchée par les attaques, ce sont les cantons de Saugues, Pinols, Le Malzieu, Ruynes, Aumont et Fournels qui payent le plus lourd tribut à la voracité de la Bête, ceci avec respectivement 34, 23, 22, 14 et 10 agressions. Aux funestes événements qui prennent place en Gévaudan les autorités répondent tout d’abord par les mesures habituelles. On organise alors des chasses dans les régions du Gévaudan et du Vivarais.


La bête du Gévaudan, un animal original au Siècle des Lumières
Dans un siècle où la raison l'emporte et où l'examen critique tend à fonder un nouvel humanisme on assiste à la naissance d’idées novatrices. Si les scientifiques se déchirent sur la validité de nouveaux modèles , l’Eglise est aussi le théâtre de désaccords importants. Du côté des ecclésiastiques, les Jansénistes, apôtres d’une pratique austère et du respect des écritures combattent les Jésuites, eux-mêmes partisans du libre arbitre de l’homme. Dans les milieux scientifiques, Buffon oppose des thèses nouvelles à Linné qui défend une vision hiérarchique des espèces.


Au début du mois de novembre 1764, bien loin des querelles parisiennes, on chasse en Gévaudan une étrange bête. Décrite à l’époque par Duhamel, capitaine des chasseurs à cheval des volontaires de Clermont-Prince, comme un animal « original », la bête en question va très vite se révéler être un catalyseur des croyances. Cette constatation est signifiante car la période à laquelle se déroulent les faits n’est pas neutre.


En effet, c’est parce que ces événements se produisent quelques années avant la fin de l’Ancien régime, à une époque où la science tend à détrôner la métaphysique, que l’on peut se demander si l’interaction entre la nature énigmatique de la Bête du Gévaudan et le débat d’idées propre au XVIIIè siècle ont participé à l'élaboration de croyances originales. C’est alors tout l’imaginaire populaire de la Bête qui a pu fluctuer au gré d’un processus dynamique dont l’analyse est liée à l’histoire des idées.


L’exécution de cette étude doit donc être faite dans le souci d’intégrer l’évolution des paradigmes attachés au Siècle des Lumières, une période sur laquelle des spécialistes comme Pierre-Yves Beaurepaire ou Daniel Roche ont publié divers écrits. L'abondante bibliographie consacrée à cette histoire, renferme une quantité importante d’indices qui montrent que les thèses les plus extravagantes ont circulé dans tout le royaume.


Savoir si celles-ci étaient latentes ou si la Bête a, malgré elle, été à l’origine de nouveaux types de croyances est un sujet tout à fait passionnant. Au vu des informations relevées au fil de mes lectures, mon hypothèse est que l’apparition de cet animal a bien été à l’origine de nouvelles croyances. L’objet de ma recherche est d’établir une analyse des superstitions en Gévaudan au cours des événements et de faire apparaître des éléments qui confirmeront ou infirmeront mon hypothèse.


…/…

II. Une enquête de terrain


A. Travail préalable à la recherche « in situ »
Pour ma part, le processus de construction d’un réseau a pris la forme de lectures d’articles, de livres et de pages Internet dédiées au sujet. Assez rapidement, je me suis rendu compte qu’il fallait séparer le grain de l’ivraie. En effet, il existe une multitude de sites, d’articles et d’ouvrages qui contiennent des erreurs et quelquefois des théories farfelues. Après avoir réalisé une sélection d’articles sérieux, je me suis mis en quête de retrouver leurs auteurs. Pour cela, j’ai utilisé les pages blanches de l’annuaire téléphonique. Dans le cas où les numéros étaient introuvables, j’ai contacté les éditeurs.


Ces derniers ont quelquefois refusé de donner suite à ma demande. Pour remédier à ce problème j’ai écrit aux associations dont certains auteurs étaient membres. Après quelques explications, ces dernières ont bien voulu me renseigner. L’identification des personnes recherchées étant terminée, j’ai pris contact avec elles, cela par le biais d’une conversation téléphonique. A partir de ce moment, et c’est bien ceci qui était recherché au départ, j’ai été en mesure de me constituer un véritable réseau fait d’associations, d’éditeurs et d’auteurs. Le réseau établi, mon but a été de me rendre en Gévaudan en voiture. La raison en est que les différentes personnes avec lesquelles je voulais m’entretenir se trouvent dans des lieux isolés en Margeride.


B. Stratégie d’approche des habitants
Pendant mon séjour en Gévaudan, et ceci en parallèle aux rencontres programmées avec les auteurs, j’ai tenté de me mêler à la population pour recueillir des informations. J’ai donc fait le tour de la ville de Saugues à pied en prenant soin de m’attarder devant les lieux de rencontre. Après avoir repéré les cafés et les restaurants, je me suis rendu compte qu’il y avait deux types d’endroits: ceux destinés aux touristes et ceux qui sont destinés aux habitants de la région. Dans un établissement, et ceci après avoir pris le soin d’examiner les clients du dehors, j’ai pu observer que les visiteurs semblaient se connaître car ils parlaient à voix haute de choses qui se rapportaient aux problèmes de la région.


J’ai aussi remarqué qu’un des clients avait garé un véhicule sur un parc de stationnement des alentours. Le véhicule était équipé d’une remorque où figuraient des objets qui semblaient être apparentés à ceux que l’on utilise pour ériger des clôtures. J’ai alors pensé qu’il était possible que cette personne soit un agriculteur. Ayant jeté mon dévolu sur un établissement qui se trouvait un peu à l’écart, je m’y suis rendu car j’avais l’impression que c’était à cet endroit - et pas ailleurs - que je pourrais converser avec des cultivateurs ou encore mieux… des chasseurs. J’ai donc poussé la porte et ai directement engagé la conversation en présentant mes recherches et mes motivations à la propriétaire des lieux.


C. Acquérir la compréhension du territoire de la Bête
La tentative de prise de contact fut réussie. Non seulement la tenancière s’est révélée très loquace mais cette conversation à haute voix a amené d’autres personnes à me livrer des détails sur la chasse et la région. A la fin de la journée, j’avais réussi à rassembler des témoignages sur la chasse, la topographie de la région et… les coordonnées du gérant de la forêt où la Bête fut tuée en 1767. La stratégie d’approche des habitants décrite ci-dessus s’est révélée être la bonne. Une observation des lieux préalable et ceci en détail, une tenue vestimentaire adaptée, une approche directe des personnes du cru, voici les ingrédients qui m’ont permis, et cela en quelques heures de collecter des informations importantes.


Très directe et très instructive, la prise de contact avec les habitants m’a fait réaliser qu’il fallait aussi que je me documente sur le relief et la nature des montagnes environnantes. Le jour suivant que je suis donc retourné à Mende pour me procurer une carte de l’IGN et c’est en pratiquant les forêts du Gévaudan que je me suis rendu compte de l’étendue, de la nature et des dispositions du territoire de prédation de la Bête.


De plus, même s’il est établi qu’il y avait moins de forêts à l’époque des attaques, des incursions successives dans les bois m’ont fait réaliser que les chasses avaient du être extrêmement difficiles. Cette réflexion m’est venue car j’ai pu constater que les forêts de sapins (dont certaines étaient à quelques kilomètres des lieux mêmes où la bête fut tuée) étaient très denses. Le rapprochement des arbres contribuant grandement au manque de lumière, comment tirer un animal dans une forêt de troncs très rapprochés où la luminosité est faible ? Cette question pratique est peut-être une de celles que Du Hamel s’est posé au moment d’organiser les chasses.


Comme on peut le voir, s’attacher à comprendre une région et ses habitants se révèle être utile à la réalisation de la recherche que j’ai décidé d’entreprendre. Aurais-je été en mesure de me rendre compte de la particularité des forêts du Gévaudan sans converser avec les habitants ? Je ne le pense pas. C’est bien au cours d’une conversation informelle avec des autochtones que j’ai réalisé à quel point les dispositions du territoire avaient pu influer sur le déroulement des événements qui prirent place en Gévaudan au XVIIIè siècle. Là encore, il est démontré que le travail de terrain est une composante indispensable au travail du chercheur.

...

Ce n'est là qu'une infime partie de cette étude que je vous conseille de lire dans son intégralité.

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Si vous souhaitez citer ce master, merci de noter les informations suivantes sur vos travaux :

MOURLAT Laurent, La Bête du Gévaudan, l’animal pluriel, 1764-1767,
sous la direction d’Olivier Darrieulat, Université d’Oslo, Blindern, 2016, 185 p.

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